Le Pape invite les jeunes à se mettre au service du bien commun
Une intervention vidéo du Pape a été présentée ce samedi après-midi, en conclusion de l’évènement « l’Économie de François ». Elle lui a donné l’occasion de détailler sa vision « franciscaine » de l’économie.
Cyprien Viet – Cité du Vatican
L’évêque de Rome a appuyé son intervention sur l’exemple de saint François, que le Seigneur a «dépouillé des idoles qui l’isolaient, des perplexités qui le paralysaient» et lui donnant une mission remplie de «joie, de liberté et de don de soi».
«François, va, répare ma maison qui, comme tu le vois, est en ruine»: c’est à partir de cet appel du Seigneur, devant le crucifix de San Damiano, que saint François s’est mis en route et a bouleversé ses plans personnels, mais aussi l’Église et la société de son temps. De même, aujourd’hui, la maison commune est en ruine, le système mondial actuel «frappe notre sœur terre, si gravement maltraitée et dépouillée, et avec elle les plus pauvres et les exclus». La pandémie de coronavirus n’a pas provoqué cette dégradation à elle seule, mais elle l’a amplifiée.
Les jeunes qui ne veulent pas considérer cette situation comme une fatalité doivent donc investir toutes les structures de décision «avec intelligence, engagement et conviction». «Ou vous êtes impliqués, ou l’histoire vous passera dessus», a averti François avec fermeté.
Il est indispensable de développer aujourd’hui une nouvelle culture pour un renouvellement politique, éducatif, spirituel, qui puisse «ouvrir des processus» afin de changer «les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures consolidées de pouvoir qui régissent aujourd’hui la société», a expliqué François en reprenant les termes de saint Jean-Paul II dans son encyclique de 1991, Centesimus Annus. Et à la suite de Benoît XVI dans Caritas in Veritate, François a rappelé que phénomène de la faim est plus lié à des problèmes d’organisation sociale et institutionnelle qu’à de réels manques matériels, puisque la nourriture, en valeur absolue, est produite en quantité suffisante pour nourrir la population mondiale.
Revaloriser le sens du bien commun
Il faut aujourd’hui retrouver une «mystique du bien commun» et renoncer aux politiques qui privilégient des intérêts sectoriels. Les 12 ateliers qui avaient été organisés en préalable à cette rencontre ont ainsi été une occasion de concrétiser la «culture de la rencontre», indispensable pour donner vie à une «nouvelle mentalité culturelle, économique, politique et sociale». Cette transformation ne peut se faire à travers une perspective seulement théorique et individuelle, mais elle nécessite des «motivations intérieures qui donnent du sens», «une appartenance et un enracinement qui donnent du sens à l’action personnelle et communautaire».
Le changement qui est nécessaire aujourd’hui ne peut pas se contenter d’une logique d’assistanat ou de «modèles philanthropiques» qui n’affrontent pas les déséquilibres à la racine. Il faut au contraire donner directement la voix aux plus pauvres au cœur même des organes de décision, afin de concrétiser «une conversion et une transformation de nos priorités et de la place de l’autre dans nos politiques et dans l’ordre social». Prenant l’exemple des quartiers fermés, qui sont de plus en plus nombreux en Amérique du Nord et du Sud, François a mis en garde contre la logique d’exclusion qui se matérialise dans les politiques urbaines et les investissements immobiliers.
Pour redonner vie à une dynamique de lien social, il faut «un engagement généreux dans le domaine culturel, dans la formation académique et dans la recherche scientifique, sans se perdre dans des modes intellectuelles ou des poses idéologiques qui sont des îles, qui nous isolent de la vie et de la souffrance concrète des gens». François a sévèrement dénoncé les impasses de la philosophie des Lumières, qui projetait sur la population des théories sans tenir compte de la voix des pauvres. «Tout pour le peuple, rien avec le peuple. Et ceci ne va pas. Ne pensons pas pour eux: pensons avec eux. Et apprenons d’eux à faire avancer des modèles économiques qui seront à l’avantage de tous, pour que le contexte structurel et décisionnel soit déterminé par le développement humain intégral, si bien élaboré par la doctrine sociale de l’Église.»
Promotion de la personne humaine et respect des peuples
L’économie doit être au service de la vie, et refuser toute logique de «dégradation, exclusion, violence et polarisation». «Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, le développement doit être intégral, ce qui signifie voué à la promotion de chaque homme et de tout l’homme», a expliqué François en reprenant les termes utilisés lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 25 septembre 2015.
François a aussi dénoncé les mécanismes d’endettement, qui «sont une route vers la pauvreté et la dépendance». Il est aujourd’hui nécessaire de «susciter et accompagner un modèle de solidarité internationale qui reconnaisse et respecte l’interdépendance entre les nations et favorise les mécanismes de contrôle capables d’éviter tout type de soumission, comme de veiller sur la promotion des pays les plus désavantagés et en voie de développement. Chaque peuple est appelé à se rendre artisan de son propre destin et de celui du monde entier.»
Vivre cette crise comme une opportunité de changement
Dans le contexte de bouleversement actuel, «nous sommes face à une grande occasion d’exprimer notre façon d’êtres frères, d’être d’autres bon samaritains qui prennent sur eux la douleur des échecs, au lieu de fomenter haines et ressentiments», a insisté François.
«Un futur imprévisible est déjà en gestation; chacun de vous, à partir de la place à laquelle il œuvre et prend des décisions, peut faire beaucoup. Une fois passée la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser, la pire réaction serait de tomber encore plus dans un consumérisme fébrile et dans de nouvelles formes d’autoprotection égoïste», a averti le Pape en interpellant les jeunes. «N’oubliez pas, on ne sort jamais pareil d’une crise: on en sort meilleur ou pire. Faisons grandir ce qui est bon, accueillons l’opportunité et mettons-nous tous au service du bien commun.»
«L’histoire nous enseigne qu’il n’y a pas de systèmes ni de crises en mesure d’annuler complètement la capacité, le génie et la créativité que Dieu ne cesse de susciter dans les cœurs», a martelé François. «N’ayez pas peur de vous impliquer et de toucher l’âme des villes avec le regard de Jésus, n’ayez pas peur d’habiter courageusement les conflits et les carrefours de l’histoire pour les oindre avec l’arôme des Béatitudes!», a lancé l’évêque de Rome.