Synode: la voix des «exclus» dans le document de la phase continentale
Le texte qui sera la base du travail et le «cadre de référence» de la deuxième étape du chemin synodal, la phase continentale, est paru ce jeudi 27 octobre. Il est composé des synthèses provenant des Églises des cinq continents. Le rôle des femmes, l’accueil des LGBT, les abus, les défis du racisme et du tribalisme, le drame des guerres et de la violence, ou encore la défense de la vie forment les thèmes centraux.
Salvatore Cernuzio – Cité du Vatican
Il y a les pauvres et les indigènes, les familles, les divorcés remariés et les parents célibataires, les personnes lesbiennes et gays, les femmes qui se sentent «exclues». Il y a les victimes d’abus, de trafic ou de racisme. Il y a des prêtres, des anciens prêtres et des laïcs, des chrétiens et des personnes «éloignées» de l’Église, ceux qui veulent des réformes sur le sacerdoce et le rôle des femmes, et ceux qui «ne se sentent pas à l’aise pour suivre les développements liturgiques du Concile Vatican II». Il y a ceux qui vivent dans des pays martyrisés, ceux qui sont confrontés quotidiennement à la violence et aux conflits, ceux qui luttent contre la sorcellerie et le tribalisme. Il y a finalement toute l’humanité, avec ses blessures et ses peurs, ses imperfections et ses exigences, qui apparait dans les quelque 45 pages du Document pour l’étape continentale.
Un échantillon des Églises du monde
Ce document servira de base aux travaux de la deuxième étape du chemin synodal lancé par le Pape François en octobre 2021 avec la consultation du Peuple de Dieu. Au cours d’une première étape, les fidèles – et autres personnes – de presque chaque diocèse du monde ont été impliqués dans un processus «d’écoute et de discernement». Les résultats des rencontres, des discussions et des initiatives innovantes – telles que les Synodes numériques – ont été rassemblés dans des synthèses envoyées au Secrétariat général du Synode, désormais résumées dans un seul document: le «Document pour l’étape continentale».
Un «cadre de référence»
Élaboré en deux langues (italien et anglais), le texte – explique le Secrétariat du Synode – «entend permettre le dialogue entre les Églises locales et entre l’Église locale et l’Église universelle». Il ne s’agit donc pas d’un résumé, ni d’un document magistral, ni d’une simple chronique d’expériences locales, et encore moins «d’une analyse sociologique ou d’une feuille de route avec des buts ou des objectifs à atteindre». «C’est un document de travail qui cherche à faire émerger les voix du Peuple de Dieu, avec leurs intuitions, leurs questions, leurs désaccords». Les experts qui se sont réunis entre fin septembre et début octobre à Frascati pour rédiger le texte parlent d’un «cadre de référence» pour les Églises locales et les Conférences épiscopales en vue de la troisième et dernière étape, l’étape universelle, avec l’Assemblée des évêques qui se tiendra à Rome en octobre 2023 puis en 2024, comme l’a récemment annoncé le Pape.
Personne n’est exclu
Dans le détail, le Document relève «une série de tensions» que le parcours synodal a fait remonter à la surface : il s’agit de «les exploiter comme source d’énergie sans qu’elles ne deviennent destructrices». Ce qui semble essentiel est «l’écoute comme ouverture à l’accueil à partir d’un désir d’inclusion radicale». L’expression «personne n’est exclu» est l’un des concepts clés du texte.
En effet, les résumés montrent que de nombreuses communautés ont compris la synodalité comme «une invitation à écouter ceux qui se sentent exilés de l’Église». Nombreux sont ceux qui ont le sentiment d’être «dénigrés, négligés, incompris», principalement «les femmes et les jeunes qui n’ont pas l’impression que leurs dons et leurs capacités sont reconnus». Le fait d’être sérieusement écouté a donc été une expérience «transformatrice».
Accueillir les homosexuels
Parmi ceux qui demandent un dialogue plus incisif et un espace plus accueillant figurent, par exemple, les anciens prêtres qui ont quitté le ministère pour se marier, mais surtout ceux qui «pour diverses raisons ressentent une tension entre l’appartenance à l’Église et leurs propres relations affectives»: les divorcés remariés, les parents célibataires, les personnes vivant dans un mariage polygame, les personnes Lgbtq. «Les gens demandent que l’Église soit un refuge pour les blessés et les brisés, et non une institution pour les parfaits», peut-on lire dans une contribution des États-Unis. Le Lesotho appelle l’Église universelle à faire preuve de discernement: «il y a un nouveau phénomène dans l’Église qui est une première au Lesotho: les relations entre personnes de même sexe. Cette nouveauté est inquiétante pour les catholiques et pour ceux qui les considèrent comme un péché. Il est surprenant de constater que certains catholiques du Lesotho ont commencé à pratiquer ce comportement et attendent de l’Église qu’elle les accepte, eux et leur façon de se comporter. C’est un défi problématique pour l’Église car ces personnes se sentent exclues», lit-on encore.
Points communs et divergences
En dépit des différences culturelles, des similitudes substantielles peuvent être observées à travers les continents en ce qui concerne les personnes perçues comme «exclues» dans la société et dans la communauté chrétienne. Toutefois, il peut exister un pluralisme de positions même au sein d’un même continent ou pays. «Des sujets tels que l’enseignement de l’Église sur l’avortement, la contraception, l’ordination des femmes, les prêtres mariés, le célibat, le divorce et le remariage, la possibilité de s’approcher de la communion, l’homosexualité et les personnes LGBT ont été abordés dans tous les diocèses, ruraux et urbains. Différents points de vue ont émergé et il n’est pas possible de formuler une position communautaire définitive sur aucune de ces questions», affirme-t-on depuis l’Afrique du Sud.
La voix des pauvres
De nombreux résumés expriment le regret et l’inquiétude que l’Église n’ait pas toujours et partout été capable «d’atteindre efficacement les pauvres à la périphérie et dans les lieux reculés». Par pauvres, le document entend non seulement les personnes démunies, mais aussi les personnes âgées isolées, les autochtones, les migrants, les enfants des rues, les alcooliques et les toxicomanes, les victimes de la traite des êtres humains, les survivants d’abus, les prisonniers, les groupes qui souffrent de discrimination et de violence en raison de leur race, de leur ethnie, de leur sexe ou de leur sexualité. Leurs voix apparaissent le plus souvent parce qu’elles sont rapportées par d’autres personnes. Et lorsqu’ils apparaissent dans les résumés, ces visages et ces noms «invoquent la solidarité, le dialogue, l’accompagnement et l’accueil».
La crise des abus
De nombreuses églises locales indiquent qu’elles sont confrontées à un contexte culturel marqué par un déclin de la crédibilité et de la confiance dû à la crise des abus par des membres du clergé. «Une blessure ouverte, qui continue d’infliger de la douleur aux victimes et aux survivants, à leurs familles et à leurs communautés», peut-on lire dans le document, qui cite une contribution de l’Australie affirmant qu’un «fort sentiment d’urgence à reconnaître l’horreur et le préjudice causés» est perçu, et qu’il est nécessaire d’accroître «les efforts pour protéger les personnes vulnérables, réparer les dommages causés à l’autorité morale de l’Église et reconstruire la confiance». Une réflexion approfondie et douloureuse sur le fléau des abus a conduit de nombreux groupes synodaux à appeler à un «changement culturel» dans l’Église, en vue d’une plus grande transparence et d’une plus grande responsabilité.
Participation et reconnaissance des femmes
L’appel à «une conversion de la culture» de l’Église est lié à la possibilité d’établir «de nouvelles pratiques, structures et habitudes». Cela concerne tout d’abord le rôle des femmes et leur vocation à «participer pleinement à la vie de l’Église». Il s’agit d’un point critique, présent sous des formes différentes, dans tous les contextes culturels, qui concerne la participation et la reconnaissance des laïques et des religieuses. En fait, tous les continents appellent à la valorisation des «femmes catholiques avant tout comme baptisées et membres du peuple de Dieu avec une égale dignité». L’affirmation selon laquelle de nombreuses femmes «ressentent de la tristesse parce que leur vie n’est souvent pas bien comprise» et «leur contribution et leur charisme ne sont pas toujours valorisés» est presque unanime.
La synthèse en provenance de Terre Sainte est révélatrice à ce sujet: «dans une Église où presque tous les décideurs sont des hommes, il existe peu d’espaces où les femmes peuvent faire entendre leur voix. Pourtant, elles constituent l’épine dorsale des communautés ecclésiales, à la fois parce qu’elles représentent la majorité des pratiquants et parce qu’elles sont parmi les membres les plus actifs de l’Église». Selon le document, l’Église est donc confrontée à deux défis liés l’un à l’autre: «les femmes restent la majorité de ceux qui assistent à la liturgie et participent aux activités. Les hommes sont une minorité. Pourtant, la plupart des rôles de décision et de gouvernance sont occupés par ces derniers. Il est clair que l’Église doit trouver des moyens d’attirer les hommes vers une adhésion plus active à l’Église et permettre aux femmes de participer plus pleinement à tous les niveaux de la vie ecclésiale».
Discrimination à l’égard des personnes handicapées
Les personnes handicapées parlent également d’un manque de participation et de reconnaissance: «les formes de discrimination énumérées – absence d’écoute, violation du droit de choisir où et avec qui vivre, refus des sacrements, accusations de sorcellerie, abus – et autres, décrivent la culture du rejet des personnes handicapées. Elles ne sont pas le fruit du hasard, mais ont en commun la même racine: l’idée que la vie des personnes handicapées a moins de valeur que celle des autres».
Les témoignages de persécution et de martyre
Le document met en évidence le témoignage de foi vécue jusqu’au martyre dans certains pays, où les chrétiens, en particulier les jeunes, sont confrontés au «défi de la conversion forcée systématique à d’autres religions». De nombreuses synthèses soulignent «l’insécurité et la violence auxquelles sont confrontées les minorités chrétiennes persécutées». On parle de fanatisme, de massacres ou même – affirme l’Église maronite – de «formes d’incitation sectaire et ethnique» dégénérant en conflits armés et politiques, qui rendent particulièrement douloureuse la vie de nombreux fidèles dans le monde. Toutefois, même dans ces «situations de fragilité», les communautés chrétiennes «ont su saisir l’invitation qui leur était adressée de construire des expériences de synodalité et de réfléchir à ce que signifie marcher ensemble».
La défense de la vie «fragile»
L’engagement du Peuple de Dieu dans la défense de la vie fragile et menacée dans toutes ses phases, émerge également de façon importante. Par exemple, pour l’Église gréco-catholique ukrainienne, «prêter une attention particulière aux femmes qui décident d’avorter par peur de la pauvreté matérielle et du rejet par les familles en Ukraine» fait partie de la synodalité, tout autant que «promouvoir un travail éducatif des femmes qui sont appelées à faire un choix responsable lorsqu’elles traversent une période difficile de leur vie, dans le but de préserver et de protéger la vie des enfants à naître et de prévenir le recours à l’avortement».