Côte d’Ivoire, le père Abekan appelle à «un développement plus humain»
Dans la capitale ivoirienne, l’opération d’expulsion et de démolition de quartiers précaires ou bidonvilles entreprise par le gouvernorat du district autonome d’Abidjan fait polémique. Des milliers de personnes se retrouvent aujourd’hui à la rue, «sans dédommagement», confient les victimes. Un véritable choc après le succès de la CAN vécue par les Ivoiriens. Le père Éric Norbert Abekan, curé de la paroisse Saint-Jacques des Deux Plateaux, dénonce «un manque de respect pour la personne humaine».
Entretien réalisé par Myriam Sandouno – Cité du Vatican
Expulsions massives, maisons et écoles détruites, démolitions systématiques de quartiers précaires, où l’on aperçoit des bulldozers tout raser. 176 sites seraient visés dans la capitale ivoirienne par cette opération de déguerpissement, en prévision de la saison des pluies de mai à septembre prochain. Une annonce faite par le gouverneur du district autonome d’Abidjan, Ibrahim Bacongo Cissé.
Un choix pour « sauver des vies humaines »
Les autorités affirment vouloir «sauver des vies humaines», en raison des conséquences de l’éboulement des terrains pendant les saisons pluvieuses, rapporte le père Éric Norbert Abekan, curé de la paroisse Saint-Jacques des Deux Plateaux, et secrétaire exécutif de la sous-commission nationale Justice, Paix et Environnement. «Des personnes meurent chaque année» dans la capitale ivoirienne de quelque six millions d’habitants, où certains «ont construit là où ils ne devaient pas construire, et quelquefois les caniveaux sont bouchés, ce qui provoque des inondations». Une conduite qui «aurait poussé le district d’Abidjan à lancer cette opération de déguerpissement», indique le père Abekan. Mais, poursuit-il, si l’on doit certes soigner «une plaie», il faut également protéger «la zone saine».
Le désespoir des victimes à la rue
Aujourd’hui, désolation et consternation se vivent dans les quartiers de Yopougon Gesco, Boribanan, Banco et Mossikoro, touchés par cette opération de déguerpissement souvent contre l’avis des maires. Si certaines victimes ont pu rejoindre leurs familles, d’autres par contre se voient obligées de vivre à la belle étoile sous des ponts, entre insalubrité, moustiques et insécurité. Une situation triste, déplore le père Abekan qui alerte sur les conséquences sanitaires. «Il y a des gens qui sont malades, des bébés qui ont la diarrhée. Il y a des gens qui ne mangent pas à leur faim et qui ont tout perdu» dans ce déguerpissement, témoigne le secrétaire exécutif de la sous-commission nationale Justice, Paix et Environnement. Le prêtre charismatique ivoirien craint «un soulèvement ou une révolte. Je ne le souhaite pas», dit-il, fustigeant un «manque de respect pour la personne humaine».
Une récupération politique
«Même si on doit déguerpir, le développement est-il fait pour l’homme ou l’homme est-il fait pour le développement?» s’interroge-t-il, recommandant un développement plus humain et alertant sur une récupération politique: «Il faut avoir peur d’une récupération politique que certains responsables politiques utilisent. C’est très délicat», estime-t-il, invitant au dialogue pour sauver des vies humaines, et à ne pas céder aux pièges de discussions politiques. «La Côte d’Ivoire a beaucoup souffert des multiples crises. Nous ne voulons plus jamais vivre cela», affirme-t-il.
L’apport de l’Église
Face à cette situation, l’Église en Côte d’Ivoire a projeté de faire appel à des personnes de bonne volonté pour avoir «au moins des tentes pour les victimes, pour qu’elles ne dorment pas à la belle étoile, sous un chaud soleil», en attendant qu’elles soient relogées. «Nous voyons très bien pour la CAN comment le Premier ministre a interpellé les religieux de tous bords, les différents partis politiques. Pour moi il s’agit de cette bataille de la personne humaine», conclut le père Abekan.