Après le Synode, vers une Église joyeuse, pauvre et prophétique
Mgr Piero Coda, théologien italien membre de la Commission théologique du Synode, esquisse une réflexion sur les premières étapes du Synode sur la synodalité, celle vécue au niveau local, et celle en cours, à l’échelle continentale. Il partage aussi sa vision de ce qui pourrait changer pour l’Église après un tel travail, tout en sachant qu’elle sera fondamentalement «la même que toujours».
Adriana Masotti – Cité du Vatican
«De grands Papes ont dirigé l’Église catholique dans cette dernière période de sa longue histoire: grands par leur stature spirituelle et leur témoignage de vie, par leur sagesse et leur culture, par leur discernement social et leur prophétie. Parmi ceux-ci, il y a Benoît XVI». Telle est la réflexion de Mgr Piero Coda, prêtre et théologien, secrétaire général de la Commission théologique internationale, dans les colonnes de la revue chrétienne italienne en ligne Città Nuova, écrites quelques heures après le décès du Pape émérite, le 31 décembre dernier.
Benoît XVI, poursuit-il, a su «rappeler avec son autorité d’homme de Dieu et de grand théologien une vérité décisive: l’œuvre de renouveau mise en route par Vatican II doit être promue en contact direct avec le noyau vivant de l’Évangile de Jésus et dans le cadre de la Tradition ecclésiale». La clé de l’interprétation de l’événement conciliaire, écrit Mgr Coda, résidait pour le Pape Ratzinger dans cette expression: «réforme dans la continuité». Mgr Coda relève aussi que «paradoxalement, le témoignage le plus incisif de son style évangélique, Benoît XVI l’a donné le jour de sa démission inattendue. Un geste extrême, réfléchi et serein, mûri dans le désir d’obéir à Dieu uniquement pour servir l’Église». Un geste d’où a jailli «une nouvelle fraîcheur au sein de l’Église, une joie nouvelle, un nouveau charisme qui va vers les hommes», comme en a témoigné peu après le ministère du Pape François.
Poursuivre le renouvellement
Le renouveau au sein de l’Église, qui concerne principalement sa mission dans le monde, est également approfondi par le chemin synodal lancé en octobre 2021 par le Saint-Père. Après une première phase vécue au niveau local, l’étape continentale a désormais commencé, qui sera suivie en 2023 et 2024 par les deux sessions de l’Assemblée des évêques, au Vatican. Le document de travail publié par le Secrétariat général du Synode indique la ligne à suivre dans les prochains mois. En une cinquantaine de pages, il contient la synthèse de toutes les contributions envoyées à Rome par les Conférences épiscopales du monde entier, et provenant des groupes synodaux dans les paroisses, les groupes et les associations. En tant que membre de la Commission théologique du Synode, Mgr Piero Coda commente ce document de travail pour l’étape continentale.
Mgr Coda, «le Synode va de l’avant, nous pouvons l’affirmer avec enthousiasme un an après son ouverture». Ainsi commence le Document de travail pour l’étape continentale, contenant la synthèse du travail accompli jusqu’à présent par les Églises du monde entier. Vous qui l’avez suivi de près, que pouvez-vous nous dire sur le travail effectué lors de cette première étape synodale?
La première étape du processus synodal, qui représentait la consultation du Peuple de Dieu au niveau des Églises locales, des diverses expressions de la vie ecclésiale, a été globalement très positive, ce qui n’était pas acquis. Elle a permis la récolte précieuse d’une riche moisson de fruits, une sorte de bilan de santé du peuple de Dieu dispersé dans le monde, avec ses difficultés, ses épreuves, mais aussi avec ses espoirs et ses joies. Il suffit de dire que sur 114 conférences épiscopales, pas moins de 112 ont envoyé le résumé des résultats de la consultation menée dans leurs diocèses. Sans oublier les familles religieuses, les associations et les mouvements ecclésiaux. Et en lisant ces rapports, il faut dire que, comme cela m’est arrivé, on ne peut s’empêcher de ressentir de l’émotion et de l’attendrissement, car on voit le témoignage d’un Peuple de Dieu vivant, animé et en marche. Parfois même cruellement éprouvé par le travail d’un moment difficile de changement, d’incertitude, comme pour toute l’humanité, mais engagé à vivre ce moment avec foi, avec amour, avec espérance. On sent la joie, et je dirais presque parfois l’enthousiasme d’écouter et de se sentir écouté, la joie de se mettre en route ensemble, à tel point que, pour moi, après avoir examiné ces rapports, les paroles du Seigneur rapportées par Isaïe me sont venues spontanément au cœur: «Voici que je fais une chose nouvelle: elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ?». Nous devons donc remercier Dieu.
Le document souligne également certains aspects négatifs comme la tache laissée par le scandale des abus ou encore la distance qui existe parfois entre le clergé et les laïcs. Du côté positif, une nouvelle conscience émerge d’être tous protagonistes de la mission de l’Église, de la nécessité d’être plus inclusif en tant que communauté, de collaborer avec d’autres Églises et d’autres religions…
Oui, bien sûr. Ce qui ressort surtout, c’est la joie et le désir de rencontrer Jésus vivant aujourd’hui et de le suivre à travers l’Église. Donc le désir d’une Église cohérente, authentique, et donc la souffrance pour toutes les taches et les difficultés qui doivent être surmontées. Et il faut du courage pour les identifier et les surmonter. Et puis le désir, la joie certainement de participer, c’est-à-dire de vivre l’Église comme une famille, comme une communion, donc de dépasser ce cléricalisme ou ces séparations qui peinent à mourir. Et encore, comme vous l’avez mentionné, le désir et l’engagement d’être inclusif, c’est-à-dire d’être ouvert pour partager le don de la foi. Nous assistons ici, dans les communautés chrétiennes, à la croissance d’une sensibilité accrue à l’égard de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sentent marginalisés de la vie de la communauté chrétienne. Aussi par exemple, pour des raisons morales, en référence aux normes morales proposées par l’Église. Et puis une grande préoccupation pour les pauvres et les exclus. Ce choix préférentiel pour les pauvres est, je dirais, une dimension de plus en plus acquise dans la vie des communautés chrétiennes. Et aussi, certainement, l’ouverture au dialogue, c’est-à-dire la conscience que le dialogue œcuménique exprime l’unité de la foi dans le baptême. Moins affirmée, si l’on veut, est la sensibilité envers les fidèles d’autres religions et aussi envers les personnes d’autres convictions ou qui cherchent une pleine manifestation de la vérité.
En ce qui concerne justement la marginalisation que vous évoquez, un thème récurrent dans presque toutes les synthèses diocésaines est la question des femmes dans l’Église et la société…
Il s’agit sans aucun doute d’une exigence essentielle qui ressort de tous les rapports, à toutes les latitudes culturelles et sociales de la vie de l’Église aujourd’hui: la reconnaissance et la promotion du charisme et de la contribution spécifique des femmes à la vie de l’Église. Il est nécessaire de faire un sérieux saut qualitatif et cela se manifeste par la nécessité d’une conversion spirituelle, culturelle et aussi structurelle, pour faire de la place, la place qui est dans le plan de Dieu, aux femmes dans la vie de l’Église. Il y a aussi la conscience de ne pas céder à la tentation d’une réduction fonctionnaliste du rôle des femmes dans l’Église, c’est-à-dire de ne pas se laisser écraser par les modèles de participation à la vie et au gouvernement de l’Église qui ont prévalu jusqu’à présent et qui ont une empreinte plus masculine, pour ne pas dire machiste. Les bons chemins doivent être trouvés à tous les niveaux, mais il s’agit avant tout d’une conversion du regard, de voir la relation entre le masculin et le féminin selon le regard de Dieu, le regard de Jésus.
De nombreux aspects ont été abordés, mais la crainte est également apparue chez certains fidèles que le Synode ne débouche pas sur un véritable changement, qu’il ne s’agisse que d’une écoute de façade. Qu’en pensez-vous? Y a-t-il ce risque?
Le Synode n’est pas une affaire tactique, il n’a aucune arrière-pensée. Il s’agit sans doute de la mise en route d’un processus qui se veut sincère, ouvert, pour prendre des décisions importantes concernant l’adaptation de la vie et de la forme de l’Église au dessein originel de Dieu. Le risque vient du fait de ne pas percevoir le sens et la portée d’un tel processus, c’est-à-dire de ne pas se rendre compte que c’est Dieu qui parle à l’Église et qui demande un saut qualitatif dans la vie de l’Église. Et si vous voulez, le risque vient de ceux qui, avec une certaine indifférence et superficialité, sinon avec une mauvaise conscience, pensent vouloir gérer le processus synodal pour ne rien changer.
L’étape continentale du Synode a commencé. Élargis l’espace de ta tente est le titre du document dont nous parlons. Il semble faire allusion à un effort supplémentaire d’ouverture dans l’écoute, par exemple. Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre le travail des mois à venir ?
L’objectif de cette étape continentale est avant tout de restituer aux Églises locales la synthèse des rapports qui sont venus de tous les diocèses, afin que les différentes Églises puissent dire si elles se reconnaissent dans la synthèse qui a été formulée, et aussi prendre conscience de la richesse des différents accents qui viennent des autres Églises locales, afin qu’un échange de dons entre les différentes réalités ecclésiales puisse avoir lieu. Il y a ensuite un deuxième objectif: réaliser cette opération de discernement au niveau continental, c’est-à-dire favoriser la communion de leurs propres chemins entre les Églises locales de la même région – dans ce cas, les cinq continents, plus les Églises orientales considérées séparément, même les Amériques sont divisées en Amérique du Nord et Amérique du Sud -, de sorte que nous avons finalement 7 assemblées continentales. Il y a quelque chose de commun au sein d’une même région au niveau culturel et au niveau spirituel, et je dirais qu’ensemble nous devons découvrir quelle est la vocation de chaque continent, parce que dans le plan de Dieu il y a un point commun et il y a aussi un appel, et cela peut être une nouveauté dans le processus synodal. De là, enfin, un nouvel enrichissement du discernement effectué, en vue de la rédaction de l’Instrumentum laboris avec lequel s’ouvrira l’Assemblée ordinaire du Synode des évêques.
Donc, en pratique, les groupes synodaux qui se sont déjà réunis dans les diocèses et les paroisses, les mouvements, les associations, etc., se réuniront à nouveau pour lire ce document et approfondir la réflexion sur son contenu?
Exactement, oui, chaque Église locale est appelée à faire cela, c’est-à-dire à recevoir le fruit de tout ce qui a été fait jusqu’à présent, à se retrouver et à remettre ces résonances en communion au niveau continental, et ensuite à faire en sorte que tout cela atteigne à nouveau le niveau universel. À la fin, le Synode renverra aux Églises locales ce qui a émergé, pour la réception et l’inculturation des choix stratégiques qui seront proposés.
La décision du Pape François de convoquer une double assemblée des évêques au Vatican pour tous ces travaux finaux a quelque peu surpris. Quelle est la raison de ce choix, à votre avis?
En vérité, cela ne m’a pas surpris, j’espérais même que ce serait le cas, car il faut du temps pour mettre en œuvre un processus de l’ampleur et de la portée de ce processus synodal, et le temps ne doit donc pas être limité. Avoir deux moments en tant qu’Assemblée des évêques pour discerner le chemin du peuple de Dieu est sans aucun doute un grand enrichissement, donc une décision opportune et clairvoyante.
Le chemin synodal entrepris par l’Église ne revient pas à faire un sondage sur ce que l’on pense de l’Église, ni à dresser une liste des desiderata des fidèles. On devrait plutôt parler de conversion, d’écoute de l’Esprit. Comment le définiriez-vous? Et comment espérez-vous qu’il soit vécu?
Je pense que le processus synodal, lorsqu’il est interprété dans son juste esprit, constitue aujourd’hui un extraordinaire terrain de vie ecclésiale. Comme le disait Jean-Paul II dans Novo Millennio Ineunte, c’est une concrétisation de cette école de communion pour la mission que toutes les réalités ecclésiales sont appelées à devenir pour être à la hauteur de ce que l’Esprit dit à l’Église aujourd’hui. Il s’agit d’apprendre cet art, qui est l’art du discernement communautaire. Apprendre à discerner signifie écouter la voix de l’Esprit et vivre sa foi comme une lumière qui interprète et transforme la réalité; communautaire signifie apprendre à la vivre ensemble. Cela ne va pas de soi, il n’est pas facile, déjà au niveau personnel, de faire un discernement, cela demande beaucoup d’humilité et de persévérance, cela demande d’activer les sens spirituels – comme le dit la tradition de l’Église – pour écouter la voix de Dieu. Voici que dans le discernement communautaire, il faut apprendre à activer les sens spirituels pour découvrir, accueillir et suivre la présence de Jésus ressuscité qui est vivant dans son Église pour être vivant dans l’histoire humaine. Et cela nécessite une école, cela nécessite un exercice. Le processus synodal peut être un terrain extraordinaire pour pratiquer cet art, et dans les rapports de cette première étape, nous pouvons voir que ce processus a commencé positivement.
Et après la conclusion de ce processus synodal, disons à partir de 2025, à quoi pourrait ressembler l’Église?
Il est certain qu’un Synode sur la synodalité, même s’il y aura deux Assemblées, n’épuise pas le sens et la portée de l’événement: c’est une étape nécessaire et importante d’un parcours qui sera long et exigeant. Le Pape François a déclaré: «Le synode est ce que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire». Eh bien, nous avons un millénaire devant nous, c’est-à-dire que nous mettons en place, en écoutant la voix de Dieu, une forme d’être de l’Église qui est la même que toujours, mais qui prend aussi des tonalités spécifiques, des déclinaisons spécifiques, que nous devons apprendre, que nous devons mettre en route.
Quelle est l’Église qui se profile à l’horizon? J’aime à dire que c’est une Église de la joie, une Église pauvre et une Église prophétique. Une Église de la joie parce qu’elle témoigne d’une chose fondamentale qui est le don de Jésus et qui est que Dieu est amour, et qu’Il donne à la personne humaine et à la famille humaine la joie que le monde ne connaît pas, pour la partager avec ceux qui sont dans la douleur et l’épreuve. Puis une Église pauvre parce qu’elle n’est riche qu’en Dieu et pauvre pour être une maison pour les pauvres parce que l’Évangile est pour eux. Prophétique parce qu’il s’agit d’une Église qui répand le levain de la justice, de la fraternité, à pleines mains, dans l’espoir certain de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre dans lesquels seuls, à la fin, la justice et l’amour de Dieu auront une demeure stable.